Des pâturages à la reconnaissance mondiale : l’origine européenne du berger belge

25/10/2025

Des chiens de troupeau… mais de quel type ?

Impossible d’imaginer le berger belge (Malinois, Groenendael, Tervueren ou Laekenois) sans évoquer la campagne brumeuse, les transhumances et une étonnante adaptabilité au service de l’homme. Pourtant, avant d’être une « race », le berger belge est d’abord un chien rustique, sélectionné avant tout pour ses aptitudes au travail plutôt que pour une apparence homogène.

La Belgique rurale au XIXe siècle : un vivier de chiens de bergers

  • Nombre de troupeaux, 1860 : plus de 1,2 million de moutons recensés dans les provinces de Flandre et Brabant (source : archives agricoles belges).
  • Explosion urbaine : Bruxelles passe de 160 000 à 460 000 habitants entre 1850 et 1900, augmentant la pression foncière… et la disparition progressive du métier de berger traditionnel.

À cette époque, la notion de race « berger » désigne surtout une fonction : chiens de garde du bétail, capables d’endurer les intempéries et les longues journées en extérieur. Les couleurs, la longueur du poil, la taille : tout varie selon les villages, car l’homogénéité esthétique n’est pas un critère.

Erreur fréquente :
  • Confondre le berger belge avec le « berger allemand court poil » ou le colley : les lignées étaient déjà bien distinctes au XIXe siècle selon la Society for the Preservation of Belgian Breeds.

Protection des troupeaux, premiers castings de sélection

C’est en 1891 que débute réellement la modernisation et la « création » officielle du berger belge. Face à la disparition du métier de berger et la crainte de voir ce patrimoine canin se diluer, le professeur Adolphe Reul de la Faculté vétérinaire de Cureghem à Bruxelles, organise une première sélection à partir de 117 chiens de bergers locaux.

Les critères : santé, courage, vivacité, sens du troupeau. C’est la première fois qu’une telle sélection vise à « fixer » des caractéristiques, même si le but reste : conserver des chiens de travail performants, capables de cohabiter avec l’homme rural.

  • Critères retenus en 1891 :
    • Énergie, équilibre, résilience au froid/humidité
    • Réactivité et respect du travail avec l’humain
    • Structure harmonieuse, mais grandes variations de poil/couleur

Quelques mois plus tard, un premier standard provisoire est produit : c’est, historiquement, l’un des actes fondateurs de la cynophilie belge (source : Livre officiel des Origines Belges, SRSH).

À retenir :
  • Le berger belge nait d’abord d’un besoin : protéger/conduire le bétail en climat difficile.
  • Sa “race” est fixée très tard – fin XIXe/début XXe siècles.
  • Le standard porte autant sur le tempérament que sur le physique, dès l’origine.

De la campagne aux 4 variétés : Groenendael, Malinois, Tervueren, Laekenois

Ce n’est qu’en 1899, lors du premier Concours national de chiens de berger à Cureghem, qu’apparaît la distinction entre les premières variétés régionales : Groenendael (noir poil long), Malinois (fauve charbonné court), Tervueren (fauve charbonné long), Laekenois (fauve dur, poil “hérissé”). Chacune porte le nom de son village d’origine ou du quartier de sélection de l’éleveur.

  • Le Malinois : originaire de Malines/Malinois, sélectionné pour la docilité au mordant et la robustesse. Rapidement, il conquiert le secteur policier belge (dès 1905 : premiers chiens de police à Gand, cf. Police Archives Belgium).
  • Le Groenendael : en partie fixé par Nicolas Rose, propriétaire du Château du Groenendael, devenu logo historique de la variété. Chien noir, poil long, apprécié pour sa présence et son élégance.
  • Le Tervueren : de la ville du même nom, sélectionné d’abord pour la beauté de son poil et ses qualités de gardien. La couleur fauve/charbonnée s’établit grâce au croisement avec un chien local nommé Tom et une femelle Groenendael.
  • Le Laekenois : moins connu, souvent réservé aux bergers locaux et éleveurs autour du château de Laeken (Laekenois = Laeken). Poil dur, aptitude exceptionnelle à supporter la pluie et à travailler dans les broussailles.

Le standard définitif, homologué en 1901 par la Société Royale Saint-Hubert (SRSH), officialise ces quatre variétés. C’est, pour l’époque, une approche novatrice : une même base génétique, quatre phénotypes différenciés principalement par le poil et la couleur.

Lexique :
  • Standard : document établi par une autorité cynophile (SRSH, FCI…) qui précise les caractéristiques idéales de la race.
  • Phénotype : caractéristiques visibles résultant de l’expression des gènes.
  • Société Royale Saint-Hubert (SRSH) : équivalent belge de la Société Centrale Canine en France.

L’essor du berger belge : de l’Europe au monde

Un chien “export” dès la Grande Guerre

La Première Guerre mondiale constitue le tournant. Les armées belge, française, puis britannique, enrôlent des bergers belges pour :

  • La recherche de blessés (premiers chiens « sanitaires » du front ouest, 1914-1918 selon “Dog in War”, IWM London)
  • La transmission de messages (par « paniers » ou muselières contenant des documents)
  • La traction de petites mitrailleuses légères (fonction « chien de trait »)

Parallèlement, les premiers bergers belges Malinois et Groenendael arrivent en France, en Suisse, aux Pays-Bas. Dès 1920, la Société Centrale Canine française reconnaît officiellement les importations.

Chiffres à noter :
  • Entre 1914 et 1918, on recense plus de 1300 bergers belges “officiellement enrôlés” dans les armées alliées.
  • Années 1960 : la France garde la première place du cheptel continental, bientôt dépassée par l’Allemagne dans les années 1990.
  • Sur les cinq dernières années (2019-2023), FCI : plus de 10 000 naissances annuelles de Malinois enregistrées rien qu’en France.

L’Europe, puis le monde : des compétitions de travail aux familles

  • Ring français, mondioring, sports canins : la sélection européenne après 1945 met l’accent sur le courage, la sociabilité, la stabilité émotionnelle.
  • Importations massives aux Pays-Bas, puis aux États-Unis (premiers couples de Malinois enregistrés dans le AKC en 1959, source: AKC archives).

Aujourd’hui, le berger belge n’est plus seulement chien de troupeau ou de police : il entre dans de nombreux foyers, et ses différentes variétés connaissent des spécialisations (recherche de victimes, détection, compagnie sportive, etc.).

Check-list minute : histoire fiable du berger belge
  1. Établir l’origine régionale (Belgique, provinces de Brabant/Flandres)
  2. Identifier la fonction initiale (chien de troupeau, bétail, protection passive)
  3. Dater la sélection standardisée (1891-1901) et le rôle du professeur Reul
  4. Différencier les quatre variétés selon leur histoire et non uniquement leur pelage
  5. Suivre les étapes de diffusion européenne (guerres, compétitions, sociétés cynophiles)

À retenir / Faits clés

  • Le berger belge est né d’un croisement régional » optimisé pour le travail, pas d’un « créateur unique ».
  • La notion de « race officielle » est très récente à l’échelle de l’histoire canine européenne (fin XIXe).
  • L’Europe a été, très tôt, le foyer d’expansion de la race, par nécessité militaire et policière autant qu’agricole.

Points à surveiller face aux idées reçues

  • L’histoire du berger belge est celle d’une adaptation constante à son milieu : campagne, ville, conflit, sport.
  • La morphologie varie encore aujourd’hui selon les lignées travail/expo/compagnie (voir “Standard FCI n°15 2022”).
  • La diversité génétique est plus préservée sur la souche belge que chez d’autres races européennes très standardisées (source : étude génomique IFAGG, 2021).

Lexique

  • Ring/mandioring : disciplines sportives de mordant civilisées avec trois familles d’exercices : obéissance, saut, protection.
  • FCI : Fédération Cynologique Internationale, fédération mondiale des clubs canins nationaux.
  • Apports de sang : séquence de croisements pour améliorer ou fixer certains caractères dans une race.

Pour aller plus loin :

  • Standard FCI n°15 (Fédération Cynologique Internationale), 2022
  • Ch. de Bylandt, "Les races canines européennes", éditions Payot, 2008
  • Belgian Malinois Heritage Organization, resources archive (anglais)

Comprendre le passé du berger belge, c’est s’offrir un regard plus précis sur les aptitudes et les besoins de ces compagnons uniques. Demain, quelles spécialités, quels rôles, quel héritage transmettre à la prochaine génération ? À chaque adoptant de cultiver l’histoire… dans la bienveillance, l’information et la curiosité.

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