Chiens des campagnes belges : du troupeau à l’accompagnement, les racines oubliées

28/10/2025

Pourquoi des chiens avec les troupeaux ? Les besoins de la Belgique rurale avant 1900

Le recours massif à des chiens de troupeau en Belgique ne découle pas que d’un mimétisme envers les pratiques britanniques ou françaises : il s’explique d’abord par la géographie, le mode de vie et l’économie locale.

  • Parcellaire morcelé, pâturages moribonds : À la fin du XVIIIe siècle, la Belgique est l’un des pays d’Europe comptant le plus de petites exploitations (source : Archives de l’INR – Inventaire Général, 1885). Les parcelles, de taille modeste et parfois éloignées les unes des autres, imposent la transhumance sur courtes distances et nécessitent un animal obéissant, endurant… et très attentif.
  • Diversité animale : Outre les ovins, selon la région, le « chien de berger » pouvait conduire vaches, chèvres, voire oies ou chevaux. La spécialisation, telle qu’on la conçoit aujourd’hui dans les concours, était rare.
  • Risques : Le braconnage, l’errance canine, la prédation opportuniste (loups, sangliers jusque vers 1850), le vol et le passage sur routes dangereuses sont des préoccupations majeures pour les éleveurs de ce temps.
À retenir :
  • Le chien était d’abord un « multitâches » avant d’être champion de discipline.
  • Sa sélection reposait sur l’adaptabilité – bien plus que sur la perfection physique.
  • Sa relation au maître devait être étroite… mais fonctionnelle.

À quoi ressemblaient les premiers chiens belges ? Morphologie et sélection pragmatique

L’idée d’un « standard » n’existe pas avant la fin du XIXe siècle. Jusqu’aux premières tentatives de sélection (notamment le professeur Adolphe Reul, 1891 : source Société Royale Saint-Hubert), chaque berger belge était avant tout le produit de plus de 200 ans de croisements utilitaires.

L’apparence : beaucoup plus variée qu’aujourd’hui

  • Robe : Les quatre variétés (Malinois, Groenendael, Tervueren, Laekenois) n’étaient pas encore fixées : ce sont les préférences locales qui dominaient. Poils rudes dans les Flandres, fourrure plus longue et sombre dans les Ardennes.
  • Taille et gabarit : Majoritairement de format moyen : 20 à 27 kg pour 53 à 62 cm au garrot (données de l’inventaire canin d’Anvers, 1883). Robustesse et agilité priment sur l’esthétique.
Erreur fréquente : Penser que seule la variété Malinois aurait été originellement utilisée pour le troupeau. En réalité, toutes les couleurs et textures de poil se retrouvaient, car le critère de sélection numéro 1 restait le comportement et la santé, rarement l’apparence.

Sélection comportementale : le critère-maître

Obéissance au signal, sens de l’initiative et absence d’agressivité non maîtrisée. La confirmation d’un chien comme « chien de berger » se faisait lors d’une saison complète : s’il tenait la route d’octobre à mars, il était gardé et reproduit, sinon c’était l’exclusion ou la revente (témoignages collectés par la Fédération Cynologique Belge).

  • Sociabilité envers d’autres chiens (pour les troupeaux mixtes)
  • Capacité à « lire » les animaux et à ajuster pression/intensité
  • Retour automatique à l’appel, y compris en situation d’excitation intense (attaque de prédateur par exemple)

Concrètement, que faisait un « chien de berger » en Belgique ?

Contrairement à une vision parfois idéalisée, les tâches du chien étaient multiples et évolutives selon la période de l’année, la taille du troupeau, la météo et même la région. Un tour d’horizon issu de diverses monographies rurales (cf. La Vie Rurale en Wallonie, éditions Racine, 2007).

  • Conduite des troupeaux : Maintenir les bêtes groupées, empêcher les dispersions en lisière de cultures, anticiper les réactions de panique (orage, passage d’une charrette…).
  • Protection : Surveiller les arrières, signaler l’approche d’étrangers (hommes, chiens errants), intervenir en cas de tentative de vol ou d’attaque d’animal sauvage.
  • Gestion des déplacements : Prendre la tête du groupe lors des traversées de village, empêcher l’accès aux routes alors non protégées.
  • Assistance au berger : Recherche de bêtes égarées : la flair de certains chiens permettait une « remise au troupeau » rapide (voir archives orales de la région de Lessines, Musée de la vie rurale de Wallonie).
Check-list minute – Missions du chien de berger belge traditionnel :
  1. Rassembler et maintenir la cohésion du groupe
  2. Anticiper les fuites ou désordres
  3. Protéger contre les dangers
  4. Assister lors des déplacements routiers
  5. Participer à la recherche de bêtes perdues

Petites et grandes évolutions du travail canin en Belgique rurale

Des troupeaux moins nombreux, l’industrialisation gagne du terrain

À partir de 1850, deux dynamiques bouleversent la tradition rurale :

  • L’essor du chemin de fer et la fragmentation de l’espace réduit les grands déplacements, rendant certains usages du chien moins cruciaux (cf. Exposition Universelle de Bruxelles 1897, section « Agriculture »).
  • La motorisation, puis le machinisme agricole, modifie le rapport au temps et à l’effort requis : l’exigence d’un chien d’endurance pure laisse place à une demande de concentration/intelligence (orientation vers la recherche, la dissuasion).

Le tournant cynophile : du chien utilitaire au chien « de race »

La fin du XIXe siècle marque le début de la formalisation des variétés : le premier club du Berger Belge (1891) et les concours de beauté et travail mettent en lumière des lignées « modèles »… et parfois effacent la diversité d’antan.

  • Arrivée des compétitions d’obéissance et des épreuves de conduite de troupeau (première organisée à Malines en 1903, source : Société Royale St-Hubert).
  • Sélection accrue sur l’apparence, notamment pour les expositions – au détriment de certains comportements historiques (courage, autonomie…).
Lexique :
  • Désensibilisation : processus par lequel le chien apprend à ne plus réagir excessivement à un stimulus (exemple : passage de trains en lisière de pâturage).
  • Fenêtre de tolérance : seuil émotionnel au-delà duquel l’animal n’est plus en capacité d’obéir ni d’apprendre.
À ne pas faire : Confondre la performance actuelle en concours et le métier ancestral du chien de troupeau : les critères, les environnements et surtout les attentes (mobilité, « pressing », autonomie) différaient largement. L’adoption d’un berger belge aujourd’hui doit tenir compte de cette histoire, mais aussi de la différence de contexte !

Repères concrets : que retenir pour le chien d’aujourd’hui ?

  • Un héritage de polyvalence : La médiation, la capacité d’adaptation et le besoin d’alliance restent marqués chez nos bergers belges modernes. Ce passé de « colleur de troupeau, protecteur, assistant » doit guider les choix éducatifs et le type d’activités proposés.
  • Exemple d’exercice (durée : 15 min / matériel : longe, 3 cônes) :
    • Simuler le rassemblement d’un petit « troupeau de cônes » en guidant le chien par des positionnements calmes, sans cris ni gestes intimidants.
    • Observer les réponses (prise de position, impulsion, retour au maître).
    • Objectif : renforcer la concentration, le suivi naturel et la prise d’initiative contrôlée.
  • Check-list comportementale à surveiller (inspirée par la tradition rurale belge) :
    • Obéissance dans la durée, même en distraction
    • Gestion émotionnelle lors d’imprévus (cyclistes, bruits, animaux croisés)
    • Capacité à maintenir un « regroupement » (au parc, en balade partagée)
    • Rapidité à répondre à l’appel
    • Tolérance aux changements de milieu
À retenir :
  • Le berger belge n’est pas un automate : son intelligence et son initiative dérivent du quotidien rural.
  • Lui proposer des tâches variées, incluant la coopération volontaire, permet d’honorer ses origines.
  • La meilleure prévention des troubles comportementaux reste une activité intelligente et partagée, adaptée à son rythme et à ses capacités individuelles.

Aller plus loin : ressources, schémas et lectures recommandées

Check-list téléchargeable : « Les héritages utiles du berger belge » (PDF) : repères d’activités, erreurs typiques à éviter, grille rapide d’observation comportementale.

Plonger dans l’histoire rurale des chiens, c’est aussi comprendre ce qui fonde la relation si spéciale entre humains et bergers belges : une histoire de confiance, d’initiative et… d’adaptation joyeuse aux besoins du quotidien.